dimanche 20 décembre 2020

Mealhada

 

Passer à Mealhada sans déguster un cochon de lait cuit à la broche (leitão en portugais) serait comme visiter Strasbourg sans y manger une choucroute ou faire fi d’un cassoulet à Castelnaudary. C’est ici que le Chemin de Compostelle m’a conduit aujourd’hui, un petit bourg portugais situé entre Coimbra et Porto. Comme je l’ai fait partout où cela était autorisé, je suis allé frapper à la porte des « bombeiros » (pompiers) pour y trouver le gîte ; pas le couvert, il ne faudrait pas abuser ! C’est déjà assez exceptionnel que dans ce beau pays, certaines casernes de pompiers offrent gracieusement l’hébergement à de « pauvres pèlerins » qui partis de Lisbonne, tentent de rejoindre la cité de l’apôtre. Saluons cette initiative à la hauteur de ce qu’elle représente pour nous !

Je suis donc arrivé à Mealhada et y ai trouvé de quoi me rendre plus présentable et dormir. Luc, un Français et Elda, une Canadienne, ont fait le même choix que moi. Joâo qui nous reçoit et nous installe est un pompier volontaire ; c’est-à-dire qu’il a un autre job et que bénévolement il assure cette fonction au sein de la caserne de la ville. Au Portugal il s’agit d’une situation courante, la plupart des bombeiros sont volontaires. Comme je lui demande où dîner ce soir, il me répond, bien évidemment, qu’ici c’est la ville du leitão et que tous les restaurants en ont fait leur spécialité. En arrivant j’avais bien remarqué toutes ces enseignes publicitaires qui vantaient les mérites de telle ou telle maison en matière de leitão : ici on les cuisait à la broche, là ils étaient grillés au four. Il nous conseille sans hésiter le Hilario, un restaurant qui cuit le porcelet à la broche puis le découpe au sécateur devant le client avec une gestuelle bien propre à eux et qui mérite une vidéo.

Quand nous arrivons, le restaurant est comble, heureusement Joâo a eu la gentillesse de nous retenir une table. Plusieurs leitão tournent au-dessus d’un lit de braises, d’autres ont été retirées et sont à la découpe. Ici, on ne vous présente pas de menu, pas davantage de cartes, car c’est leitão ou leitão, le seul choix que vous ayez c’est celui du morceau. Le serveur vient à notre table et nous présente l’animal découpé en morceaux de belle taille. Il le fait à la manière d’un sommelier qui, avant de la déboucher, vous fait voir sous tous les angles la bouteille que vous avez commandée. La viande avec cette belle couleur du grillé et les aromes qui l’accompagne nous met tout de suite en appétit. Elda et Luc optent pour le jambon et moi ce sera l’épaule.

De retour à la caserne, nous ne manquons pas de faire à Joâo les compliments qu’il mérite par rapport au choix du restaurant. Avant de nous laisser aller dans les bras de Morphée, nous passons quelques instants à discuter avec lui. Il nous parle de son métier, de son vrai métier, il est professeur d’éducation physique. Il a choisi, en complément à son activité de devenir pompier volontaire, car au Portugal il y a très peu de professionnalisme chez les bombeiros, et paradoxalement le climat et la végétation font qu’il y a beaucoup d’incendies. Si certains malheureusement sont le fait de gens sans scrupules, la plupart sont provoqués par la sécheresse et la chaleur. Ce soir, il est de garde et en cas de sinistre il fera appel à des collègues en astreinte pour intervenir avec lui.

            Cette nuit je me réveille vers trois heures du matin. Je ne sais pas quelle était la cause : peut-être le téléphone de Joâo que j’aurais entendu sonner dans sa chambre ou alors ma vessie qui s’est rappelée à moi pour que je la soulage. Lorsque je passe devant la porte de Joâo pour gagner les toilettes, je l’entends parler en portugais et au ton de sa voix, je comprends qu’il se passe quelque chose de sérieux. Je me réinstalle ensuite dans mon sac de couchage pour retrouver le sommeil, ce qui en général est assez rapide, et je ne sais pas pourquoi dans cette phase où petit à petit on lâche pied avec le réel, je vois Joâo jaillir de sa chambre, vêtu de sa tenue de pompier. Il me voit éveillé, alors en achevant de lacer ses rangers, il me dit qu’il y a un incendie de forêt à quelques kilomètres d’ici, en direction de Coimbra. Je ne sais pas pourquoi cela me vient à l’esprit, mais je lui demande si je peux l’accompagner, que j’aimerais bien vivre une intervention. Je le sens hésiter quelques instants, mesurant certainement les risques qu’il prend à enfreindre les règles de sécurité, puis considérant peut-être cette convivialité que nous avons eue tous ensemble au retour du dîner, il me dit :

            — OK, dépêche-toi de t’habiller et rejoins-moi au garage, je vais ouvrir les portes.

Je ne demande pas mon reste ; en moins de deux minutes, je suis prêt, euphorique à l’idée de pouvoir vivre une telle expérience. Elda et Luc n’ont rien entendu. Je descends les escaliers quatre à quatre et retrouve Joâo qui a déjà mis le moteur en marche.

            — Prends cette veste et ce casque, tu les enfileras en roulant. Je te donne aussi un masque au cas où il y aurait de la fumée au sol, pour les chaussures, reste avec tes godillots.

            Le camion démarre et nous quittons la caserne à vive allure. Joâo m’explique qu’il a prévenu des collègues qui nous rejoindront avec un autre véhicule. L’incendie s’est déclaré dans une zone boisée, mais menace le petit village de Botão. Les bombeiros de Coimbra vont nous venir en aide avec de gros moyens. Notre camion est équipé d’une citerne de 10 000 litres d’eau ce qui devrait permettre d’attendre les renforts. Lorsque nous quittons Mealhada nous apercevons déjà au loin la colline en feu.

            — Il y a beaucoup de vent et l’incendie va progresser rapidement vers le village. En général, dès que le jour se lève, les bombardiers d’eau interviennent, mais avec ce vent je ne suis pas certain qu’ils décolleront !

Tout en roulant, Joâo poursuit ses explications :

            — Quand nous arriverons, je me garerai à l’entrée du village et la priorité sera de protéger les maisons. La forêt c’est moins important, elle repoussera ! Le camion est équipé de deux lances, tu en prendras une et moi l’autre, et surtout tu ne prends aucun risque ! Le danger en pareil cas est toujours l’encerclement par les flammes, il faut toujours s’assurer que l’on a le dégagement pour fuir en cas de besoin !

            — OK, j’ai compris lui répondis-je.

            Lorsque nous entrons dans le village, le spectacle est tout simplement effarant : toute la colline est en feu et le vent le pousse vers les premières habitations, la progression semble très rapide. Joâo parait serein ; certainement parce que ce que je découvre pour la première fois de ma vie constitue son quotidien. Nous sommes les premiers sur les lieux, les villageois sont sortis de chez eux et certains déroulent des tuyaux d’arrosage au cas où ce serait nécessaire. Joâo gare le véhicule en prenant soin de faire demi-tour auparavant pour assurer notre repli. Il est déjà en train de dérouler des tuyaux et me donne les consignes :

            — Prends cette lance, pour ouvrir abaisse le levier et attaque le feu au sol pour l'empêcher de progresser. Moi je passe derrière la maison pour protéger le garage.

C’est incroyable ! prendre le Chemin de Compostelle et se retrouver là, à trois heures du matin en pleine campagne, à combattre un incendie qui menace un village entier ! La chaleur est intense, des arbres s’enflamment comme des fétus de paille, des flammèches sont expulsées dans le ciel, un décor apocalyptique ! Le renfort est arrivé, déjà Coimbra puis quelques minutes après les collègues de Joâo. Ce n’est pas moins d’une dizaine de lances qui luttent maintenant contre les flammes. Une ferme à l’orée du bois n’a pu être sauvée, je vois son toit en feu disparaitre entre les murs dans une gerbe d’étincelles. Soudain la pression de ma lance commence à fléchir. Joâo a bien compris, la cuve est vide !

            — Nous allons mettre en route la motopompe, nous puiserons l’eau dans la piscine de la villa. Prends la crépine et tu la plonges tout au fond du bassin pendant que je raccorde les tuyaux sur la pompe.

            Je suis impressionné par son intelligence et son sens de la débrouillardise ; ce qui aurait nécessité chez moi un temps de réflexion et beaucoup d’imagination n’est que réflexe chez lui. Il ne s’est écoulé pas plus de deux minutes avant que nos lances soient à nouveau en pleine pression, mais entre-temps le feu a encore progressé, la chaleur me pique le visage et je suis contraint de reculer. Tout autour, les maisons brûlent les unes après les autres : c’est l’encerclement que craignait Joâo. Le jour commence à se lever et soudain un bruit de moteur dans le ciel ; un bombardier d’eau vient d’apparaitre au milieu des panaches de fumée. L’espoir reprend ! Nous allons lutter à armes égales pensai-je ! Nous survolant à basse altitude l’avion ouvre sa trappe et lâche un long nuage d’eau rougeâtre au-dessus de nous. Soudain, je prends conscience d’un autre danger pensant : ça va faire quoi quand ces tonnes de liquide vont nous tomber dessus ?

            — Aïe ! qu’est-ce que c’est ?

            — C’est Elda, réveille-toi ! On a 30 kilomètres à faire aujourd’hui !

 

 

Epaule de leitão

Le leitão cuit

La découpe au sécateur


 


Le garage des bombeiros

Le vestiaire des bombeiros

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